Dynamisé par ses grandes écoles et ses fédérations sportives internationales, le chef-lieu vaudois a vu son nombre d’étrangers doubler en moins de quarante ans, pour monter à 43% de la population totale. Pour la première fois, une vaste étude dresse le panorama de cette évolution
Les mauvaises langues genevoises aiment encore décrire Lausanne comme «le village de pêcheurs du bord du lac». Quelle méprise. Boosté par ses hautes écoles, ses fédérations sportives internationales et ses sièges de multinationales, le chef-lieu vaudois est devenu une cité cosmopolite, comptant aujourd’hui plus de 160 nationalités. Malgré une taille moyenne (140 000 habitants), la ville a aujourd’hui «tout d’une grande», pour reprendre le slogan d’une célèbre publicité d’une marque automobile. Cette attractivité a eu comme corollaire une forte hausse de la population étrangère, qui a doublé en moins de quarante ans. Une évolution rapide que les autorités lausannoises ont voulu comprendre, analyser et documenter, lançant une vaste étude menée conjointement par le Bureau pour les immigrés et l’Office d’appui économique et statistique.
Pas de ségrégation
Le fruit de cette recherche qui retrace l’évolution de la population étrangère sur le long terme fait l’objet d’un rapport circonstancié de près de 140 pages rendu public ce mercredi. Première confirmation, la population lausannoise ne possédant pas de passeport suisse a augmenté de manière significative, passant de 23% à 43% entre 1980 et 2017, ce qui rapproche la ville de sa voisine genevoise (48% en 2017). «C’est une augmentation impressionnante, sur quelques dizaines d’années. Mais elle s’est faite de manière assez cohérente, se félicite Bashkim Iseni, délégué à l’intégration et responsable du Bureau lausannois pour les immigrés. Il n’y a par exemple pas eu d’effet de ségrégation.»
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L’étude démontre que, à l’échelle infra-communale, l’ensemble des 18 quartiers affichent des gains positifs d’habitants étrangers, même si certaines zones ont connu une plus forte augmentation, comme Montoie/Bourdonnette (+24,6%) ou Borde/Bellevaux (+27,4%). «Il y a certes des évolutions plus marquées sur certains points de la ville, mais les étrangers se sont répartis dans tous les quartiers, ce qui a permis d’éviter tout communautarisme. Cette mixité facilite l’intégration.» Fait intéressant, en 1980, c’est le centre-ville (Flon, Riponne, gare, Chauderon, notamment) qui comptait l’effectif le plus important d’étrangers. Aujourd’hui, c’est la zone Sallaz/Vennes/Séchaud, au nord, qui concentre le plus grand nombre d’habitants sans passeport helvétique. La construction de logements sociaux aux Grangettes et à Praz-Séchaud explique cette évolution.
Erosion au début du XXe
Historiquement, cette poussée d’habitants venus d’ailleurs n’est cependant pas la norme. La moitié du XXe siècle, avec ses deux conflits mondiaux et la Grande Dépression, a ainsi donné lieu à une lente érosion du nombre d’étrangers à Lausanne, qui passera de 25% en 1914 à 10% à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. C’est véritablement à partir des années 1960 que la population étrangère croît de manière rapide dans la capitale vaudoise, une augmentation pour la première fois plus prononcée que la tendance suisse. La concrétisation des grandes infrastructures, notamment autoroutières, en prévision de l’Exposition nationale de 1964, va agir comme le moteur de cette croissance, attirant une importante main-d’œuvre de différents pays européens. Le nombre d’étrangers connaîtra ensuite une baisse, entre 1974 et 1980 (initiative Schwarzenbach contre la surpopulation étrangère et ralentissement économique provoqué par les chocs pétroliers), avant de repartir à la hausse. L’accord sur la libre circulation des personnes, entré en vigueur en 2001, donnera un dernier coup d’accélérateur.
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La typologie des étrangers a également évolué au fil du temps. A la sortie de la guerre, la migration était essentiellement européenne, avec trois pays (Italie, Espagne et Portugal) qui composaient à eux seuls la majorité des arrivées. Dorénavant, les provenances sont multiples et plus lointaines. Cette attractivité s’explique par la globalisation des échanges, mais aussi par des spécificités lausannoises, comme le statut de capitale olympique et la présence de grandes écoles réputées. En 2016, 57% des inscrits de l’EPFL ne possédaient ainsi pas de passeport à croix blanche. La prestigieuse Ecole hôtelière de Lausanne accueille, elle, plus de 100 nationalités différentes. Au total, la formation est à l’origine de 24% des demandes de permis dans le canton.
Population étrangère plus mobile
Ces évolutions ont induit une population étrangère plus mobile, avec une présence plus marquée d’expatriés de grandes entreprises et de chercheurs qui repartent une fois leur mandat terminé. Indiens, Américains et Chinois représentent les nationalités qui s’enracinent le moins. De l’autre côté, les ressortissants du Kosovo, de Bosnie et du Chili sont ceux qui sont demeurés le plus souvent dans leur ville d’adoption. Mesurée sur le long terme, la propension à l’établissement prolongé (c’est-à-dire plus de cinq ans) a été de l’ordre de 60%.
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«Au final, ce rapport permet de mieux comprendre l’histoire de la migration de la ville, conclut Bashkim Iseni. C’est une photographie de la réalité, qui contraste avec le ressenti psychologique qui a tendance à noircir le tableau de la présence étrangère. Comme cela peut arriver lors de certains phénomènes comme récemment avec le deal de rue. Cette étude permet de mettre en lumière un certain esprit lausannois d’ouverture.»
Yan Pauchard
Publié mercredi 6 mars 2019 à 14:31, modifié vendredi 8 mars 2019 à 09:17